Studios
Chacun d’entre nous se souvient de ces photographes qui ne souriaient presque pas, chez lesquels nos parents nous emmenaient pour immortaliser une célébration, un événement, ou simplement nous faire un portrait pour une procédure administrative… Dans ces studios, souvent minuscules, l’imaginaire du photographe nous transportait vers les décors de nos envies. On réinventait autant de couchers de soleil, de jardins fleuris, d’arcades, de paysages et de plages… On pouvait passer d’un univers à un autre, dépasser les frontières réelles à travers un procédé de faux semblants. Le médium est toujours le même. La photographie transcende les géographies, les réinvente. Tanger, Tétouan, Missour, Bejaâd ou Casablanca, des villes parcourues à travers leurs petits studios de photographies. On y entre sur la pointe des pieds pour y cueillir des images du passé et celles toujours présentes d’un décor parfois dépassé, couleurs décaties mais témoin d’un ailleurs, d’une tentative d’évasion. Ces mondes fantasmés deviennent autant de réalités à parcourir pour l’œil du photographe que je suis. C’est un monde d’extrême où tout devient possible en un clic. C’est autant de frontières franchies. Celles convenues, celles matérielles qui se dématérialisent à travers le regard. A travers leurs clichés, ces photographes que j’ai rencontrés semblent avoir décidé d’arrêter le temps. Ils protègent leurs labos comme des renards qui défendent leurs terriers. Ils conservent un mode de fonctionnement et un cadre de travail classiques, figé, presque immuable. Soit parce qu’ils le veulent ainsi, ou par défaut de moyens. Ces labo-photos, où la mémoire est sauvegardée et protégée, sont des cocons foisonnant de vies intérieures malheureusement oubliés des autres. L’idée de ce projet est de porter notre regard sur chaque photographe, dans son studio, où il a photographié des milliers de personnes. Un cadre hors-champs, hors-temps qui adopte un style désordonné en apparence, proche du kitsch ; flashs, bordures du fond, archives et boites entassés… au beau milieu de tout cela, le photographe se fera à son tour photographié. Rendre hommage à ces photographes c’est rendre hommage à la photographie. Et c’est aussi ma vision pour développer un travail de mémoire. Puisque sans celle-ci, notre présent et notre futur n’auraient plus de sens.